Le Souterrain de la Kriegsmarine
Le sous sol de nos villes renferme des trésors insoupçonnés. Je l’ai découvert totalement par hasard le 4 Janvier 2016.
Je suis tombé dans l’urbex lors d’une balade de nuit, au détour d’un fourré au bord de la route. Derrière les ronces, une porte creusée dans la falaise menait à un immense réseau souterrain aujourd’hui inaccessible.
Un complexe immense, des centaines de mètres de galeries, si proche de nous et pourtant invisible
A l’époque, n’ayant aucune idée sur la nature de l’endroit, j’élaborais des hypothèses à partir des quelques indices présents sur place. La présence de meurtrières, d’obus et l’aspect général plutôt ancien me permit de deviner que cet endroit avait été construit par les allemands pendant l’occupation.
Puis après l’exploration grâce à des recherches j’ai pu découvrir de quoi il s’agissait...
Bienvenue dans le souterrain de la Kriegsmarine !
Le spot en bref :
Type d'urbex : Militaire/Souterrain
Période : Seconde Guerre Mondiale (construction entre 1943 et 1944)
Constructeur : Organisation Todt (Allemagne nazie)
Utilisateur : Kriegsmarine
Utilité : Stockage, soin, abri
Histoire :
Cet endroit immense à été creusé en partie dans les années 30 et agrandi considérablement pendant l’occupation par la Kriegsmarine , la marine de guerre Allemande, avec pour mission d’abriter les effectifs de la Hafenkompanie (compagnie de défense portuaire).
Les dimensions sont colossales, c’est un véritable labyrinthe de pas loin d’un kilomètre de galeries taillées aussi bien dans le béton que dans la roche brute.
La vie de ce complexe s’articule autour d’une source d’eau potable qui court dans ses entrailles de Gneiss. Grâce à elle le souterrain est doté d’eau courante. C’est autour de cette source que le premier complexe est construit. Les Allemands l’agrandiront de façon titanesque.
Les travaux sont effectués par de la main d’œuvre de l’organisation Todt dans des conditions parfois inhumaines. Ces travailleurs du béton sont des prisonniers de guerres, dans cette région ce sont principalement des Républicains Espagnols.
Une partie des tunnels est complètement bétonnée, mais à certains endroits on observe des murs en maçonnerie (vestiges du premier complexe français ?) ou encore des tunnels creusés à même la roche.
Pour interdire l’accès au complexe les Allemands installent 3 corps de garde, armés probablement de mitrailleuses MG-08, aux entrées du souterrain (il n’en subsiste que 2 aujourd’hui).
En 1944 alors que la ville est assiégée par l’armée Américaine, le complexe sert de dispensaire, une sorte de gigantesque hôpital militaire où des centaines de soldats Allemands seront accueillis.
Le souterrain à une capacité d’accueil de 500 lits, mais c’est bien plus d’Allemands qui se retrouvent entassés dans ces galeries inhospitalières.
Les conditions de vie dans ce souterrain à l’humidité omniprésente sont très difficiles pour les blessés entassés à l’intérieur, de nombreux soldats y décèdent.
L’hôpital est placé dans ce souterrain car facile à défendre grâce aux mitrailleuses qui bloquent l’entrée et à l’abri des bombardements, pour les conditions sanitaires on repassera.
Quand les troupes Américaines parviennent à prendre le souterrain en 1944, les Allemands ont entamés des travaux d’extension. Au nord le tunnel numéro 4 est en cours de creusement et à l’Est un petit boyau à peine commencé était censé rejoindre un second souterrain situé à plus d’un kilomètre.
Le complexe devient une prison Américaine pour quelques temps avant d’être laissé à l’abandon.
Après guerre les usages des tunnels sont multiples. Ils commencent par servir d’entrepôt pour le matériel de la ville, mais l’humidité des tunnels fait rouiller le matériel.
Puis c’est un club nautique qui y stocke son matériel avant de déménager et de laisser à nouveau le complexe à l’abandon.
Cette humidité qui détruit le matériel civil ne fait le bonheur que des champignons cavernicoles qui se multiplient à l’intérieur du dispensaire déchu.
Dans les années 1980 un couple qui a bien compris cela installe une champignonnière dans les tunnels et le débarrasse des vestiges de lit et autres reliques de la guerre, notamment de restes de soldats décédés, témoignage des atroces conditions de vie dans le souterrain.
Une fois la champignonnière installée les propriétaires recevront d’ailleurs la visite d’un vétéran allemand hospitalisé dans le souterrain pendant la guerre, ému aux larmes.
La champignonnière obtient de bons rendements mais fait finalement faillite notament pour cause de concurrence.
L’utilisateur final du souterrain est un club de tir qui utilise les tunnels 1 (plomb), 1bis (poudre noire) , 2 et 3 (armes à feu classiques).
Explorons !
Les traces de la guerre
La plupart des vestiges de 39/45, notamment les lits ont été retirés pendant l’aménagement de la champignonnière et du club de tir.
Cependant il reste quelques installations d’époque. Une partie de la ligne électrique est toujours en place, on trouve des câbles électriques et quelques ampoules toujours suspendues au plafond.
On retrouve aussi d’autres traces déjà évoquées comme la source ainsi que les créneaux de tir des mitrailleuses MG-08
Au détour d’un tunnel il est également possible d’admirer 4 obus probablement placés en décoration après guerre. Certains ont peut être été découverts dans le souterrain.
Enfin pour l’œil attentif qui saura les trouver, quelques bouts de céramique Allemande sont éparpillés un peu partout dans le tunnel 4. Il y à également de nombreux restes ferreux, peut être des éléments de lits dans les dépôts des tunnels 2 et 3.
Les vestiges post-guerre
Parmi les traces d’occupation d’après guerre, les plus visibles sont celles du club de tir. Les douilles parsèment encore le sol à certains endroits, les murs sont criblés de balles et plusieurs trophées rouillés témoignent des exploits passés des tireurs. Des casiers destinés à accueillir des carabines attendent toujours dans le noir.
Au fond des tunnels des pneus sont placés pour éviter les rebonds de balles.
De la champignonnière il reste quelques sacs de culture rassemblés dans une grande cavité inachevée, quand au club nautique ce sont quelques flotteurs qui témoignent.
Ces tunnels immenses semblent morts et pourtant la vie est parvenue à s’y développer grâce à l’humidité qui y règne.
Plusieurs espèces de champignons dont la célèbre mérule s’affairent à dévorer les structures de bois.
Sur les chapeaux et les mycéliums plusieurs collemboles s’affairent. Il s’agit d’insectes primitifs sans ailes.
Cette exploration fut ma première (on peut parler de chance du débutant dans ce genre de cas).
Parcourir ce souterrain à la lueur des torches avec le fracas des gouttes sur les bâches en plastique comme seul bruit de fond est une experience inoubliable. Les galeries en béton sont martiales, écrasantes, l'ambiance y est lourde.
Une fois que j'ai connu son histoire mes visites ont pris un ton plus dramatique.
Tout en parcourant cet abîme je tente d'imaginer ce qu'on put être les conditions de vie à l'intérieur. En parcourant les tunnels j'imagine les blessés qui agonisent dans des lits suspendus tout le long des murs. Je visualise les piles de matériel militaire stockées dans les dépôts, les medecins débordés. J'essaie de retranscrire le rugissement des mitrailleuses qui tentent de retarder la défaite inéluctable sur les 3 corps de garde, atrocement amplifié par l'écho de la caverne.
Retour au présent. Le silence est revenu, le seul bruit qui n'a pas cessé c'est celui de la source qui s'écoule toujours par les pores de la roche.Si les murs pouvaient parler ils pourraient nous raconter bien des histoires sur ce souterrain aux multiples usages, du dispensaire à la champignonnière.
La visite se termine ici. Nous laissons le corps de garde ouest derrière nous et retrouvons l'air libre en imaginant quels autres lieux fantastiques se cachent dans les rues que nous fréquentons chaque jour. Ainsi naquit ma passion de l'exploration urbaine.